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Index discographique | |
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Tracks: You (1'33"), One the Planes (2'43"), Go to Bed (2'44"), Ace of Diamonds (4'45"), Twenty-Four (5'07"), No Slow Ones (3'16"), Telegraph Melts (4'10"), Governor Rhodes (5'17"), Star Up in the Sky (3'29"), You Painted Your Teeth (2'55"), Mothers Day Card (2'02"), The Fly (3'35"), House Up On the Hill (2'14") |
Et d’abord
- que regarde-t-il pousser, accroupi, torse nu, dans l’allée
de ce jardin : des fleurs, des salades, des herbes hallucinogènes
? A la vue de cette pochette bucolique, bien que grisâtre, nous pourrions
supposer que Jandek - après onze albums dirigés vers le noir
absolu - cultive enfin son jardin, renoue avec les choses de la nature,
de la vie - reviens à la lumière. Et que peut-être,
nous allions entendre son ‘chant de la terre’. Evidemment , il n’en est rien. C’est même le contraire qui se produit - et ayant pratiqué à plusieurs reprises, non sans quelques écorchures de l’oreille, l’écoute du contenu ‘musical’ de ce disque, je ne puis même plus regarder cette pochette sans un vague sentiment d’effroi. ‘Telegraph melts’ est un album à la fois panique et complexe. De ceux qui font dire à certains que Jandek n’est pas un être normal - ou est atteint de graves troubles mentaux etc. Dans ce cas, il n’est pas le seul : la chanteuse (‘Nancy’ ?) et les deux (?) musiciens qui l’accompagnent (basse métronomique et batterie à vapeur) seraient à mettre dans le même sac. Une séance de musicothérapie sans musicothérapeute (celui-ci étant ligoté à un radiateur, au fond de la pièce) - avec prise de substances, et toute lumière éteinte ? Mais s’il s’agissait d’un simple exercice d’humour - sur fond de mise en scène des petites névroses familiales ? Comme une bande de gosses qui s’amuserait à se faire peur en rejouant, au fond de la cave, les travers parentaux - en les dramatisant jusqu’à l’épouvante. Je pense ici au ‘Go to bed’, interprété par cette voix féminine pas vraiment rassurante - mais aussi, et surtout, au ‘You painted your teeth’ - morceau qui, à lui seul, mérite - pour le moins - un paragraphe. Aucun danger que ce morceau serve un jour à illustrer les mérites de tel dentifrice : trop terrifiant. Et pourtant, ce cauchemar sonore (batterie néolithique + accords électriquement déglingués + vociférations) raconte quoi ? Une sorte de dialogue surréaliste - ou plutôt, dans lequel le texte opère par glissements de sens, propres aux rêves. Ainsi, l’ordre ‘anodin’ qui est donné à l’enfant à savoir ‘Lave-toi les dents, sinon c’est la fessée’ - devient ici, pour résumer : ‘Ne te peins pas les dents, ou je te tue’ - avec cette association bien connue des jungiens : ‘dent/mort’. Là, c’est un père jupitérien qui s’exprime - et fera apparaître dans son délire des images de six chevaux noirs, de corbillard etc. Le comble de l’horreur, c’est lorsque la réprimande s’achèvera par cette sentence pleine de non-sens : ‘Bon, oui - tu monteras au paradis, où tout est blanc, blanc, blanc. Mais PAS tes dents. TU AS PEINT TES DENTS’. La loi du père semble ici toute résumée. La figure de la mère, dans cet album, est loin d’être absente. Nous avons vu qu’elle fait déjà une apparition dans ‘Go to bed’. Le morceau a-capella intitulé ‘Mothers Day Card’ est tout aussi éloquent. Deux voix mâles, en très net état d’ébriété, ‘chantent’ à l’adresse d’une mère qu’on imagine pétrifiée face à ses deux pitoyables fils, le compliment censé célébrer la Fête des Mères (‘Thanks for being you, Mom, and happy Mathers’s Day !’). Absurde situation qu’on ne rencontre, là aussi, que dans les cauchemars. De célébration, il en sera encore question dans ‘Gouvernor Rhodes’ (gouverneur de l’Ohio, ce personnage a réellement existé), où les deux figures Père/Mère sont réunies pour un étrange rituel d’union céleste, sur fond de tam-tam. Description hallucinée d’une scène primitive, donc, ce morceau aurait pu sans mal accompagner les images des récentes élections américaines - ou pourrait faire l’objet d’une étude dans quelque classe d’anthropologie. Il n’a pas été beaucoup question de musique : c’est normal. Dans cet album, le chaos est sur son trente et un, y est même sublime - et ferait presque passer le ‘Trout mask replica’ du Captain Beefheart pour un chef d’œuvre symphonique. La déconstruction bat son plein, et semble même vouloir s’en prendre jusqu’à des fondations extra-musicales, situées non loin des territoires de l’inconscient. Mais peut-être n’est-ce qu’un simple jeu, qu’une innocente pochade sous influence - comment savoir ? A écouter, certes - mais avec parcimonie. Ou en se disant qu’après tout, ce n’est que de la musique… (Phasme) |